D'après le rapport fait en février 2012 par Samuel WAFO sur la perception de l’avortement en milieu jeune dans la ville de Yaoundé, il ressort qu’ « au Cameroun, l’avortement est une pratique courante». Très souvent, cet acte d’interruption volontaire de grossesse ne se passe pas dans de bonnes conditions de sécurité : moins de 25 % d’avortements sont effectués par des médecins qualifiés (Gaby Velghe-Sherpereel et Pascale, Amb. Pays-Bas). Et, selon une étude, plus de 40 % des urgences reçues en Gynécologie obstétrique sont liées à un avortement provoqué.
Les conséquences sont de plus en plus nombreuses et considérables. Les avortements provoqués s’affirment de plus en plus comme l’une des causes permanentes de la mortalité et de la morbidité maternelle (The Lancet Public Health, Abortion and Fertility). Les principales victimes sont les adolescentes, jeunes et célibataires, vivant en milieu urbain ou rural, allant à l’école ou pas. Au moins un avortement sur dix concerne des filles de moins de 18 ans (Mounah Dipita, 2001). Dans les pays en développement, entre 2 et cinq (5) millions de filles de cette catégorie d’âge se font avorter chaque année et plus de 40 % de ces avortements se déroulent dans des conditions à risques (FNUAP-IPPF, 1997).
L’avortement est encore loin d’être structuré dans la société camerounaise. Pire, il est présenté comme illégal. Une situation pour le moins déplorable qui fait que les jeunes et adolescents sont très peu exposés aux services et aux informations de qualité en matière de santé de la reproduction, y compris la contraception.
Pour avoir des éclairages sur le sujet, SupMagazines’est rapproché du Dr Annick MAMIAFFO, Médecin généraliste au service des urgences à l’hôpital de district de Deido.
Dr Annick MAMIAFFO, qu’est ce qui pourrait d’après vous pousser une jeune fille à avorter?
Pour moi, ce qui pourrait pousser une jeune fille à l’avortement, c’est d’abord la société, son environnement : parce qu’une jeune fille de 16 ans enceinte est mal vue par la société, par les personnes qui l’entoure. Et du coup, elle se sent repoussée et peut décider d’avorter si elle ne supporte pas son entourage. Ensuite, ce sont les parents de la fille : car ces derniers, constatant leur jeune fille enceinte, ne voulant pas être mal vus par leurs proches, décident parfois de faire avorter la fille. Aussi, certaines filles voyant leur avenir se bouleverser avec un enfant qu’elles n’avaient pas prévu, se trouvent en train d’avorter pour suivre leur parcours. Enfin, je pense aussi à l’immaturité du garçon, qui fuit ses responsabilités de père du futur bébé. La fille face à ce genre de comportement ne se voit pas en train d’accoucher un enfant dont le père ne s’occupera pas, décide donc d’avorter si elle ou quelqu’un d’autre ne peut pas s’en occuper. Voilà un peu quelques raisons qui puissent pousser une jeune fille à avorter.
Quels sont les risques et dangers que court une adolescente lors de l’avortement ?
Le premier risque c’est la prison. Je tiens à rappeler que l’avortement est punis par la loi camerounaise sauf dans certains cas, vient ensuite la stérilité. Il existe trois types d’avortement : l’avortement par aspiration, l’avortement par curetage et l’avortement médicamenteux. J’ai rencontré plusieurs jeunes filles qui ont fait des avortements médicamenteux ; il s’en suit comme complications à cela la stérilité, des saignements abondants qui peuvent conduire à une anémie, des infections aussi, car il y en a qui vont souvent voir des personnes dans des quartiers qui leur font avorter sans prendre des précautions aseptiques. Les filles qui avortent sont exposées aux maladies infectieuses telles que l’endométrite, la péritonite ou encore la salpingite. C’est un grand risque que court la jeune fille quand elle décide d’avorter, car cet enfant qu’elle avorte pourrait être son seul et unique enfant. A long terme elle pourrait être traumatisée et avoir des remords.
Quels conseils prodigueriez-vous aux jeunes femmes qui ont l’intention d’avorter ?
Elles devraient commencer par utiliser des préservatifs qui leur évitent les grossesses indésirables et même des maladies. Une fois que c’est arrivé, bien réfléchir avant de le faire, mesurer toutes les conséquences qui pourraient en découler avant de prendre
la décision d’avorter. Si la décision est affirmative, elles doivent se rapprocher d’un médecin qui pratique l’avortement afin de le faire avec le plus de précautions possibles et
les mesures d’hygiène appropriées. Je leur demande de se méfier des médicaments qu’elles prennent partout au quartier pour avorter. c’est très dangereux et apporte des complications ou des maladies dans le corps de la femme.
Un rappel :
Au Cameroun comme dans la plupart des pays africains, l’avortement provoqué reste encore légalement interdit et n’est autorisé que pour des raisons médicales. Le code pénal camerounais prévoit en son article 337 des sanctions assez lourdes à l’encontre des personnes accusées d’actes d’avortement provoqué. Les peines de
l’avorteur sont doublées lorsqu’il s’agit d’un professionnel de la santé ou d’un récidiviste. Ce dernier peut même subir des peines supplémentaires notamment la fermeture de l’établissement ou l’interdiction d’exercer la profession.
Dans son article 339, le code pénal prévoit deux cas dans lesquels les pénalités prévues par l’article 337 réprimant l’avortement ne peuvent pas être prononcées :
- lorsque l’avortement est justifié par la nécessité de sauver la mère d’un péril grave pour sa santé ;
- lorsque la grossesse résulte du viol. Toutefois, certaines modalités doivent être observées : d’abord l’avortement doit être réalisé dans les premiers mois de la grossesse, notamment en cas de viol, ensuite l’avortement doit être pratiqué par un praticien dans un centre hospitalier public ou dans une clinique privée autorisée, enfin l’avortement doit être effectué après une autorisation du Ministère Public qui délivre une attestation sur la matérialité des faits.
Malgré cette interdiction, la pratique des avortements clandestins, surtout chez les adolescentes, est devenue une réalité préoccupante, aussi bien pour les pouvoirs publics que pour les familles. Le contexte de pauvreté globale et de crise morale que connaît le pays semble favoriser cette pratique.