L’émigration clandestine, un fléau pour l’Afrique et le Cameroun
Face aux risques courus et les décès enregistrés lors de l’émigration clandestine, SupMagazine est allé à la rencontre de M. Eric Fernaud TCHOMENE président de l’ONG internationale ICPC (immigration clandestine et prise de conscience) par ailleurs diplômé en mathématiques et en informatique à la faculté des sciences de l’université de Dschang, le but étant de sensibiliser la jeunesse sur le sujet.
Bonjour M. Eric Fernaud TCHOMENE
Bonjour l’équipe de SupMagazine. C’est un honneur pour moi de m’exprimer dans votre magazine et d’apporter ma contribution quoique modeste à l’effort que vous faites en matière de sensibilisation, d’information et de conscientisation des jeunes en général et les étudiants en particulier.
Parlez-nous de fond en comble de votre organisation
L’ICPC (immigration clandestine et prise de conscience) est une association internationale de lutte contre l’émigration clandestine et illégale en Afrique. Elle a vu le jour le 20 décembre 2009, le siège social est à Douala au Cameroun et la devise est : volonté - engagement - travail. Cette association est à caractère humain et à but non lucratif, elle peut avoir pour membres les personnes de toutes nationalités confondues sans distinction de sexe et de religions. Nous sommes présent en Afrique centrale, en Afrique de l’ouest et en Afrique du nord d’où son caractère international. Sur le plan national, nous avons des antennes dans toutes les régions. Notre site web officiel est www.immigration-conscience.tk et l’adresse e-mail est : immigration_conscience@yahoo.com, vous pouvez également nous contacter au +237 77 01 41 11 / +237 98 51 25 54
Nos objectifs principaux sont les suivants :
- Sensibiliser, éduquer, informer et conscientiser les africains en générale et les jeunes en particulier
- Organiser des forums et des conférences afin d’expliquer aux uns et aux autres les risques qu’ils courent en voyageant clandestinement et illégalement.
- Promouvoir l’éducation de base en vulgarisant les activités scolaires et extra scolaires.
- Organiser les séances de travail avec les chefs des institutions scolaires et universitaires afin Que les enseignants et instituteurs nous accompagnent dans notre devoir.
- Concevoir et réaliser les micros projets communautaires.
- Proposer aux autorités administratives les différentes solutions qui peuvent permettre de réduire le flux migratoire, de même, contacter également les chefs d’entreprises afin de multiplier le nombre d’emplois, et surtout expliquer aux émigrants les conditions à remplir pour voyager en toute légalité.
Pour atteindre ces objectifs sus cités, une équipe constituée d’enseignants, d’hommes de droit, de journalistes, d’étudiants et de jeunes actifs m’accompagne. Voilà de manière sommaire le rôle de notre ONG
Quel a été l’élément motivateur de sa création ?
En 2006 lorsque nous étions encore étudiants à l’université de Dschang, un camarade étudiant très cher à moi décida de partir clandestinement de l’Afrique pour l’Europe. Il avait choisi la voie terrestre en passant par les pays comme le Tchad, le Mali, l’Egypte et le Maroc, mais malheureusement il est décédé dans la partie septentrionale du Mali de suite de soif et de famine. La nouvelle m’était parvenue par ses camarades d’aventure. Blessé dans ma chair et dans mon âme, j’ai décidé de créer cette organisation non gouvernementale en 2009. J’avais aussi une motivation secondaire, celle d’éviter que les « passeurs » ou les « marchands d’illusions » continuent d’arnaquer et d’appauvrir les africains en général et les camerounais en particulier. C’est la raison pour laquelle en plus d’être le promoteur j’ai décidé de présider l’Icpcdès sa création.
En prélude à la journée internationale des migrants dans le monde, l’Icpc a organisée une marche sportive le 18 décembre 2013 dans les artères de la cité capitale économique du Cameroun à Douala. Que peut-on retenir de cette marche sportive ?
Chaque 18 décembre se célèbre partout dans le monde la journée internationale des migrants. A cette occasion et comme toutes les années, nous avons organisé comme vous l’avez si bien dit dans la ville de Douala une marche sportive. Laquelle marche a connu la participation de plus de deux cents manifestants, hommes et femmes confondus y compris les étudiants. Nous avons arboré des tee-shirts et des pancartes sur lesquels étaient écrits des messages tels que :
« Stop à l’émigration clandestine et illégale en Afrique »
« L’émigration clandestine est un fléau »
« Tous ensemble contre l’émigration clandestine et illégale »
« L’émigration clandestine n’est pas la solution. »
Cette marche s’est faite sur sept kilomètres et a connu un grand succès, les messages ont été véhiculés, les populations venues nombreuses nous observer étaient contentes, la presse nationale et internationale en a parlé. Nous avons reçu les encouragements des autorités administratives de la région du littoral et des grandes chancelleries pour cette marche de sensibilisation qui s’est déroulée dans un climat fortement apaisé.
Sur le plan de la coopération internationale, l’icpc vient de nouer des partenariats avec des ONG allemandes, suisses, et avec l’Union Européenne dans le but de lutter contre l’immigration clandestine en Afrique. Quelles sont les mesures qui ont été prises par votre organisation pour réduire le taux d'émigration clandestine au Cameroun ?
Nous avons comme vous l’avez si bien dit, noué des partenariats avec des ONG sus citées, nous avons pris des mesures concrètes pour lutter contre l’émigration clandestine et illégale au Cameroun, nous avons initié depuis 2009 des campagnes de sensibilisation et d'information dans les lycées et collèges. Lors des récents jeux universitaires à Buea nous avons confectionné plus de dix mille dépliants que nous avons distribués gratuitement aux étudiants. Nous organisons constamment des conférences débats animés par les professeurs d’universités, les chefs d’entreprise, des experts en la matière et des étudiants. Nous orientons sans fatigue les jeunes diplômés ou non vers le fond national de l’emploi (FNE), vers les entreprises, nous encourageons également l’auto emploi.
Quelle différence existe concrètement entre émigration clandestine et émigration légale ?
Très bonne question monsieur le journaliste ! Nombreux sont ceux qui ne connaissent pas la différence. Emigrer signifie sortir, partir. L’émigration clandestine ou illégale dans le contexte camerounais puisque nous y sommes est la sortie du territoire national des personnes ne possédant pas des documents qui leur autorisent. Les personnes qui partent dans ces conditions sont appelées des « clandestins », des « sans-papiers ». Généralement ces derniers n’ont même pas le moindre passeport, véritable pièce d'identité à l’extérieur. L’émigration légale est la sortie du territoire national en toute quiétude. Dans ce cas précis l’émigrant a un passeport, un visa. IL va dans un pays où il est attendu et pour une raison bien précise. Généralement les voyages illégaux se font par voie terrestre et maritime. On ne saurait parler d’émigration clandestine et illégale sans faire allusion aux différents naufrages de Lampedusa où on a eu plus de mille morts seulement pendant l’année 2013, originaires pour la plupart de l’ Afrique subsaharienne. Comment oublier les milliers d’africains qui meurent par vague, électrocutés par les doubles grillages de onze mètres de hauteurs situés à ceuta (frontière Maroc-Espagne). Pour être bref, choisir de voyager clandestinement c’est choisir de souffrir.
Après vos multiples passages dans certains pays d’Afrique notamment au Nigeria, en Afrique du sud, au Maroc et au Sénégal où vous avez vécu pendant longtemps, l’ émigration clandestine est- elle perçue de la même manière qu’au Cameroun ?
C’est vrai, vous avez raison, j’ai fait plus de cinq pays africains, et je vais même me rendre au Qatar (nouvel eldorado des émigrants clandestins) le mois prochain pour animer une conférence sur l’émigration. Je remercie en passant madame Stéphanie knott une amie allemande et valeureuse militante des droits de l’homme parce qu’elle a permis à l’icpc de nouer certains partenariats et d’atteindre bon nombre d’objectifs. L'émigration clandestine est généralement perçue en Afrique subsaharienne comme une chance. On dit par exemple au Cameroun, on a coutume d’affirmer publiquement : « il a eu la chance d’aller au front ». La famille de l’émigrant estime que c’est un fabuleux destin. Au Sénégal, par exemple lorsque vous avez un membre de votre famille à l’extérieur, même s’il souffre, on vous considère comme une famille qui peut incessamment être riche. En Afrique du Nord, ils ont un autre regard de la chose, la plupart des émigrants sont légaux, ils privilégient la voie légale au détriment du risque.
Quel message pouvez-vous adresser aux jeunes étudiants qui pour la plupart ne nourrissent qu’un seul rêve : partir à tout prix ?
Chers étudiants, vous et moi avons eu beaucoup de chance d’être allés à l’école. Nous sommes des intellectuels, nos parents se sont sacrifiés pour cela. Lorsqu’on a été étudiant, on a une grande capacité à développer, à créer et à inventer. Renseignez-vous, orientez-vous vers le FNE, vous pourrez tomber sur une offre d’emploi alléchante. Faites de temps à autre un tour du côté du ministère de la fonction publique et de la réforme administrative, quelque fois on y trouve des annonces de recrutement. Regroupez- vous en GIC (Groupement d’Initiative Commune) par exemple et explorez les domaines tels que l’agriculture, l’élevage. Montez des micros projets et cherchez des partenaires afin qu’ils vous accompagnent. Consultez régulièrement le site www.campusjeunes.net, vous y retrouverez des annonces, des offres d’emplois et de stage, des bourses d’études à l’étranger… je demande par ailleurs aux étudiants de se méfier des «marchands d’illusions » et des «passeurs » généralement malhonnêtes qui laissent entendre que la vie est rose ailleurs. Comment comprendre que pendant que vous voulez à tout prix émigrer à l’étranger, que les étrangers immigrent chez vous ? Informez-vous, on peut facilement trouver son compte au Cameroun, il suffit de s’armer de courage mâtiné de détermination. J’exhorte les dirigeants africains et camerounais en particulier d’offrir plus d’opportunités. Je formule des vœux de paix, de santé, de bonheur et de prospérité à tous les étudiants, à l’équipe dirigeante de l’icpc et ses partenaires et surtout à l’équipe de SupMagazine à qui je dis à très bientôt…
Propos recueillis par Isaac FEUM