Faux et usage de faux! Les propos de Me Charles Tchoungang en ce mois de janvier 2014 à l’endroit de Ndédi Éyango sur les ondes de la CRTV radio sont graves, bellicistes, violents, sectaires et intolérants. Ils font resurgir la question jamais vidée de la double nationalité au Cameroun. Le cas Ndédi Éyango est une forfaiture de trop, surtout après plusieurs décennies d’errements ayant causé des blessures atroces et autant de ravages aveugles dans les coeurs des Camerounais. C’est à croire que d’aucuns n’ont rien retenu des déchirements et des profonds traumatismes provoqués par le démon identitaire de la crise ivoirienne. Le fait divers n’est pas anodin et prend même désormais une dimension politique. Sauf à vouloir nier l’évidence, la sortie ubuesque de Me Tchoungang est contestable, eu égard à la forme heurtée, dont le fond est un véritable réquisitoire pioché précipitamment avec une légèreté coupable. Ses propos viennent soutenir cette culture du "revanchisme” entretenue par l’oligarchie au pouvoir contre tous ceux qui sont indociles. Comment va-t-on construire ou faire évoluer notre pays vers le progrès en continuant à perpétuer des méthodes qui nous maintiennent dans l’obscurantisme? L’enjeu ici est capital : on ne saurait créer une loi qui s’appliqueraient à certains et pas à d’autres. C’est une simple question de justice sociale et d’équité.
© ecrirelavie.voila.net
Un envoyé spécial mal inspiré
Connu pour ses effets de manche, Me Charles Tchoungang nous avait pourtant habitués à des causes beaucoup plus nobles. Le défenseur acharné des droits de l’homme et des libertés vient de se fourvoyer et jeter le discrédit sur sa personne. Son retournement laisse songeur et relève de la manipulation de l’opinion et de la petite politique. Comme il le sait lui-même, l'émotion n'est pas une source de droit. La question de la double nationalité au Cameroun doit se traiter au travers des faits, de l'analyse, des pratiques et des sociabilités patriotiques.
Or le paradoxe de sa politisation peut générer à terme une crise politique. La récurrence du débat de la double nationalité, marque à l’évidence le besoin de la redéfinir. Les contradictions de cette loi et le laxisme des autorités font le lit d’un grand gouffre juridico-administratif et fonctionnel au Cameroun. Son application ambigüe et parfois à tête chercheuse, peut être source de tous les maux demain, avec des formes d’exclusion et une montée des incivilités, symptômes d’une fragilisation du lien social et d’une interrogation sur la notion même de citoyenneté au Cameroun. Une citoyenneté qui apparaît aujourd’hui comme soumise aux contingences et aux humeurs des hommes. Ce qui se passe à la Socam avec Ndédi Eyango comme avant-hier avec Sam Mbendè à la CMC est une question de rapport de forces. Au Cameroun les tenants du pouvoir ont pris l’habitude de penser qu’ils sont les garants du bien. Ils ont la certitude que le décret leur confère le monopole du patriotisme et qu’ils sont les seuls à définir la nature de la vertu, à distinguer le bien du mal. Avec l’arrogance qui les caractérise, à l’instar de cette ministre de la culture, plus ils sont contestés, plus ils sont persuadés que leur action relève d’une mission de salut public. En envoyant Me Charles Tchoungang au charbon, c’est une véritable boite de pandore qu’Ama Tutu Muna vient d’ouvrir. Le monde virtuel camerounais a pris le relais de l’affaire et vit désormais au rythme trépidant de l’actualité sur la question qu’il commente sans complexe. Nombreux sont les internautes qui s’étourdissent dans les prises de position manifestement produites dans une poussée d’adrénaline. Le débat emprunte une voie inattendue, celle de l’émotion, de l’hystérie collective, de l’impertinence, des injures faciles et de l’incitation à l’exclusion, en lieu et place de la raison.
Quand le parapluie et la godasse brouillent la lisibilité…
Qui n’a pas dans son entourage un membre de sa famille, une connaissance ou un ami dans la situation de Ndédi Éyango? Une personne qui vit et exerce une activité au Cameroun en ayant une autre nationalité que la camerounaise? Y a-t-il réellement une homogénéité dans l’application de cette loi sur la nationalité? D’aucuns arguent que les textes de la Socam ne permettent pas à un étranger de briguer le poste de président, soit! Le franco-camerounais Manu Dibango, n’a-t-il pas été porté à la tête de la Socinadra, l’ancêtre de la Socam, il y a de cela quelques années? Comment montrer le bon fonctionnement des institutions républicaines avec une antinomie aussi criarde dans l’interprétation des textes qui fondent un État qui se proclame de droit? Faut-il alors s’en accommoder comme si le problème n’existait pas? Dans tous les cas, la sortie de Me Tchoungang ouvre légalement la voix á tout Camerounais d'attaquer en justice toute personne soupçonnée d’être dans la posture de Ndedi Eyango. Or Dieu seul sait qu’il y en a beaucoup au Cameroun, à commencer par les ministres et assimilés, les directeurs généraux de société, les sportifs de haut rang, etc. Il y a donc péril en la demeure. Et à ce sujet, la responsabilité historique de la classe politique et de l’intelligentsia est désormais engagée dans ce débat. Elles doivent l’assumer, courageusement. Le parlement doit légiférer pour accommoder tout le monde. Il ne s’agit pas de succomber à un quelconque mimétisme ni de céder aux pressions, mais de tenir compte de l’intérêt du pays, en contribuant à rattraper un oubli ou à corriger une anomalie.
Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la plupart des joueurs de l’équipe nationale de football du Cameroun ont la double nationalité! Qui est allé vérifier que le Secrétaire général adjoint de la présidence de la République, M. Agbor Tabi, dont le nom circule comme probable futur premier ministre, a rendu son passeport américain? Antoine Ntsimi, ex-ministre des finances et ex-président de la Cemac a de tout temps détenu un passeport américain sans que cela ne choque personne. Quid d’Adolphe Moudiki, ex-ministre de la République, ADG de la SNH, la sacro-sainte Société nationale des hydrocarbures, une entreprise stratégique de notre pays, qui a la nationalité française depuis des lustres, tout comme l’emblématique Roger Milla, ambassadeur itinérant à la présidence de la République? Idem pour le président de la Chambre de commerce, Christophe Eken, qui de surcroît a été député à l’Assemblée nationale du Cameroun ou encore de l’actuelle maire de Bangangté qui ont des passeports français. Ont-ils des cartes de séjour au Cameroun? L'État serait-il en faute pour les avoir laissés exercer des activités ou occuper de hautes fonctions sans respecter le code du travail camerounais ou le code de nationalité? Alors pourquoi certains et pas les autres? Arrêtons l’hypocrisie! La question de la double nationalité exige aujourd’hui le recours à de nouveaux paradigmes et un corpus cohérent, notamment le choix du régime juridique, les conditions et les modalités d’acquisition de la nationalité. D’autant plus que par-delà le caractère éminemment juridique, le code en vigueur au Cameroun n’interdit pas la double nationalité du fait de sa pratique courante. Cette loi n'exige pas par exemple que les étrangers renoncent á leur nationalité d’origine pour être naturalisé camerounais. Tout comme les femmes camerounaises mariées à des étrangers peuvent rester camerounaises si elles ont acquis une autre nationalité par le mariage (art 32). Qu’on l’acquiert parce qu’on est né sur le sol du pays, qu’on soit né des deux parents camerounais, d’un parent national ou encore par naturalisation, le code de nationalité relève exclusivement du domaine du droit et procède d’une volonté politique. Au demeurant, la question de la citoyenneté n’est pas abstraite et désincarnée. Une citoyenneté est d’abord l’existence d’un socle culturel commun, un mode de vie associé d’expériences communes communiquées. L’idéal citoyen comporte, l’accroissement et la diversification des intérêts partagés en commun, un rôle plus important attribué aux intérêts mutuels dans la vie sociale, une interaction plus libre entre les groupes sociaux. Ce sont toutes ces caractéristiques qui doivent se retrouver dans la nationalité. En somme la citoyenneté doit être considérée comme une finalité consensuelle, dont on s’efforce d’expliciter les dimensions, les contours et les aspects complémentaires. Il est significatif à cet égard que lorsqu’il s’agit de préciser ses principes déterminants, les critères de justice et d’équité doivent en être des préalables. Sinon, les clivages ne cesseront de resurgir et de s’approfondir tout au long des années à venir.
Le développement du pays, une affaire de tous!
Contraints à repenser sa relation avec sa diaspora, la question de la double nationalité est inséparable de celle de l’importance que les pouvoirs publics camerounais accordent à l’apport de cette diaspora dans le développement du pays. Comment va-t-on inciter les enfants dynamiques du pays éparpillés à travers le monde à revenir investir un jour, quand on leur envoie des signaux aussi dangereux? Leur participation à la vie du pays doit être encouragée par des décisions rationnelles et réfléchies, et non sur la base de calculs politiciens et mesquins. Pour ce faire, Ndédi Eyango ne doit pas payer les pots cassés ou être l’agneau du sacrifice, parce que n’ayant pas de parapluie ni de godasse, au point de le présenter comme odieux et infréquentable A l’opposé du nationalisme étroit, la nationalité ne saurait se limiter ou se modeler à partir de principes figés et dogmatiques, mais susciter au contraire, dans tous les domaines, le désir de rassembler tous les fils et filles du pays. Une nationalité à dominante intégrative et "fonctionnaliste" qui tient compte des exigences du développement fondées sur la participation, la multi-culturalité, l’initiative et le débat critique. Dès lors, il ne saurait plus y avoir ni oppositions ni antagonismes. Le périmètre de la citoyenneté est évolutif et devrait se caractériser par son syncrétisme qui réconcilie les positions apparemment les plus contradictoires actuelles. Le moins que l’on puisse dire est qu’il doit être conforme à l’histoire de notre pays et en droite ligne avec notre ambition commune de faire du Cameroun un pays émergent, avec un peuple fier, riche de sa diversité, fort et réconcilié avec lui même.